L’EFFET SENECA

Lâeffet Seneca ou effet SĂ©nĂšque est inspirĂ© par la citation de Lucius Annaeus SĂ©nĂšque :
« la richesse est lente, et le chemin de la ruine est rapide »
On constate en effet que le dĂ©clin dâune sociĂ©tĂ© est toujours beaucoup plus rapide que sa croissance ; il en a Ă©tĂ© ainsi de la civilisation Maya comme de la civilisation romaine et de bien dâautres.
Les principaux facteurs Ă lâorigine des dĂ©clins ont toujours Ă©tĂ© :
- Les changements climatiques
- La dĂ©gradation de lâenvironnement
- Les inégalités sociales
- La complexité des sociétés
- Des chocs externes (guerres, catastrophes naturelles, famines, épidémies)
Or, les quatre premiers indicateurs sont aujourdâhui dans le rouge :
Notre propre civilisation est-elle sur le point de sâeffondrer Ă son tour ?
Câest lâobjet de rĂ©flexions qui ne datent pas dâhier, mais ressortent depuis quelque temps (2015) avec une approche dite « collapsologie » :
La collapsologie est « lâexercice transdisciplinaire dâĂ©tude de lâeffondrement de notre civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succĂ©der, en sâappuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et lâintuition et sur des travaux scientifiques reconnus » (Servigne & Stevens, 2015). Son objectif est de nous Ă©clairer sur ce qui nous arrive pour pouvoir discuter sereinement des politiques Ă mettre en place.
Un effondrement est « un processus Ă lâissue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, Ă©nergie, etc.) ne sont plus fournis (Ă un coĂ»t raisonnable) Ă une majoritĂ© de la population par des services encadrĂ©s par la loi. »
Nous avons donc lu « Comment tout peut sâeffondrer » Ă©crit en 2015 par Pablo Servigne et RaphaĂ«l Stevens. En voici, sinon un rĂ©sumĂ©, une tentative de synthĂšse, constituĂ©e majoritairement dâextraits recomposĂ©s du livre.
LES IDEES-FORCES
Les éléments factuels
- De nombreux phĂ©nomĂšnes ont une croissance exponentielle (population, consommation Ă©nergĂ©tique, consommation des ressources naturellesâŠ). Or, les ressources ne sont pas inĂ©puisables : cela constitue un mur infranchissable. Câest le point fondamental de toute la thĂ©orie de lâeffondrement.
De plus, le danger nâapparait que quand il est trop tard, comme lâa illustrĂ© Albert Jacquard dans « lâĂ©quation du nĂ©nuphar » :
On plante dans un lac un nĂ©nuphar qui a la propriĂ©tĂ© hĂ©rĂ©ditaire de produire chaque jour un autre nĂ©nuphar. Au bout de 30 jours, la totalitĂ© du lac est recouverte par les descendants de ce nĂ©nuphar et lâespĂšce meurt Ă©touffĂ©e, privĂ©e dâespace, entraĂźnant aussi lâasphyxie de toutes les espĂšces vivantes qui peuplaient le lac.
Pourtant, au 25e jour, un nĂ©nuphar anxieux de lâavenir avait attirĂ© lâattention de ses compagnons sur le danger quâils couraient en prolifĂ©rant ainsi et la rĂ©ponse avait Ă©tĂ© : « Pourquoi nous inquiĂ©ter, alors que nous avons ce comportement depuis plus de 3 semaines et que 97% de la surface du lac est encore disponible ? Nous avons largement le temps de voir venir, continuons comme par le passĂ© ! »
Quelques éléments plus techniques sont présentés en annexe :
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- CapacitĂ© de charge dâun Ă©cosystĂšme : il s’agit de la gĂ©nĂ©ralisation du concept de capacitĂ© de charge d’un milieu, dĂ©finie par les biologistes comme le nombre d’animaux qu’un territoire donnĂ© peut tolĂ©rer sans que la ressource vĂ©gĂ©tale ou le sol ne subissent de dĂ©gradation irrĂ©mĂ©diable.
- Taux de retour Ă©nergĂ©tique : cette valeur traduit le « rendement » d’un systĂšme de production d’Ă©nergie (combien investit-on et combien rĂ©cupĂšre-t-on ?). On verra que les Ă©nergies renouvelables ont des limites.
- Modélisation issue des travaux du « Club de Rome » : le point 40 ans aprÚs.
Pour en savoir plus, cliquez sur lâimage ci-dessous :
- En plus des limites infranchissables qui empĂȘchent physiquement tout systĂšme Ă©conomique de croĂźtre Ă lâinfini, on trouve des seuils invisibles au-delĂ desquels les systĂšmes dont nous dĂ©pendons se dĂ©rĂšglent. Les consĂ©quences nâen sont connues quâaprĂšs avoir dĂ©passĂ© ces seuils, lorsquâil est dĂ©jĂ trop tard. Câest actuellement le cas du rĂ©chauffement climatique : on ne sait tout bonnement pas oĂč lâon va.
- En lâespace de 50 ans, nous avons vĂ©cu une interconnexion globale de la plupart des rĂ©gions du monde. Lâinformation, la finance, le commerce et ses chaĂźnes dâapprovisionnement, le tourisme, tout est Ă©troitement connectĂ©. Notre civilisation globalisĂ©e est devenue tellement complexe et fragile quâun problĂšme touchant lâun ou lâautre des domaines en nâimporte quel point du monde peut dĂ©clencher des effets en cascade disproportionnĂ©s.
- Dans nos sociĂ©tĂ©s, trĂšs peu de gens savent aujourdâhui survivre sans supermarchĂ©, sans carte de crĂ©dit, sans station-service, sans internet. Lorsquâune majoritĂ© de ses habitants est ainsi âhors solâ, câest-Ă -dire nâa plus de lien direct avec le systĂšme-Terre (la terre, lâeau, le bois, les animaux, les plantes, etc.), la population devient entiĂšrement dĂ©pendante de la structure artificielle qui la maintient dans cet Ă©tat. Si cette structure, de plus en plus puissante mais vulnĂ©rable, sâĂ©croule, câest la survie de lâensemble de la population qui pourrait ne plus ĂȘtre assurĂ©e.
Les éléments humains
Ne pas voir : nous ne percevons pas les dangers que reprĂ©sentent les menaces Ă long terme, alors que nos cerveaux sont trĂšs performants pour traiter les problĂšmes immĂ©diats. Nous rĂ©pondons aux risques en Ă©coutant nos Ă©motions instinctives plutĂŽt quâen utilisant notre raison ou notre intuition : ainsi, un rĂ©sumĂ© du GIEC provoque moins de sĂ©crĂ©tion dâadrĂ©naline que la vue dâune tarentule, mĂȘme dans un bocal.
Des mythes ont fondĂ© notre identitĂ© et notre vision du monde, par exemple que la technologie a la capacitĂ© magique de rĂ©soudre tous les problĂšmes de pĂ©nurie physique ou que lâaction humaine est minime Ă lâĂ©chelle de la planĂšte.
Ils sont trĂšs difficiles Ă remettre en cause. Câest mĂȘme le contraire qui se produit : lâesprit cherche par tous les moyens Ă faire entrer une nouvelle information dans le cadre du mythe qui le fonde.
Ne pas croire : nous sommes presque tous dans lâimpossibilitĂ© de croire que le pire va arriver.
Personne ne peut dire aujourdâhui quâil manque des donnĂ©es scientifiques sur les constats alarmants ou que les mĂ©dias nâen font pas assez mention. Mais, force est de constater que, pour la plupart des gens, ces informations ne sont pas crĂ©dibles. Au cours des quarante derniĂšres annĂ©es, nous avons simplement continuĂ© Ă changer les raisons de ne pas changer notre comportement.
Cela est renforcĂ© par lâeffet dâhabituation. Il est illustrĂ© par lâhistoire de la grenouille qui bondit lorsquâelle est plongĂ©e directement dans une casserole dâeau bouillante, mais qui reste dedans jusquâĂ en mourir lorsquâon la plonge dans lâeau froide et quâon la rĂ©chauffe progressivement.
Ne pas rĂ©agir : ce qui dĂ©clenche lâaction dâun individu nâest pas son opinion ou sa volontĂ©, mais le fait quâil agirait Ă condition quâun assez grand nombre dâautres agissent aussi. Lâindividu averti de lâeffondrement ne se demande pas sâil veut changer sa vie, mais seulement sâil le ferait au cas oĂč un certain nombre dâautres le feraient aussi.
De plus, le message diffusĂ© par les autoritĂ©s nâest sans doute pas assez alarmiste pour engendrer une rĂ©action majoritaire. Dâailleurs, sâil lâĂ©tait, il pourrait dĂ©clencher soit une rĂ©action de rejet, soit Ă lâinverse une panique accĂ©lĂ©rant encore le processus.
La catastrophe a ceci de terrible que non seulement on ne croit pas quâelle va se produire, alors mĂȘme quâon a toutes les raisons de savoir quâelle va se produire, mais quâune fois quâelle sâest produite, elle apparaĂźt comme relevant de lâordre normal des choses. Sa rĂ©alitĂ© la rend banale.
LES CONCLUSIONS
Voici quelques extraits du livre sur lesquels méditer :
Les constats
Aujourdâhui, nous sommes sĂ»rs de quatre choses :
- La croissance physique de nos sociĂ©tĂ©s va sâarrĂȘter dans un futur procheâ;
- Nous avons altĂ©rĂ© lâensemble du systĂšme-Terre de maniĂšre irrĂ©versible (en tout cas Ă lâĂ©chelle gĂ©ologique des humains)â;
- Nous allons vers un avenir trĂšs instable, «ânon-linĂ©aireâ», dont les grandes perturbations (internes et externes) seront la norme ;
- Nous pouvons dĂ©sormais ĂȘtre soumis potentiellement Ă des effondrements systĂ©miques globaux.
Les consĂ©quences sur notre façon dâagir
Sâil faut prĂ©venir la catastrophe, on a besoin de croire en sa possibilitĂ© avant quâelle ne se produise. Pour rĂ©soudre ce problĂšme, Hans Jonas, en 1979, propose de «âdavantage prĂȘter lâoreille Ă la prophĂ©tie de malheur quâĂ la prophĂ©tie de bonheurâ» dans les affaires qui comportent un potentiel catastrophique.
Dans la mĂȘme veine, Jean-Pierre Dupuy propose une posture â quâil appelle le catastrophisme Ă©clairĂ© â pour arriver Ă naviguer dans lâincertain des catastrophes. Pour lui, les menaces grandissantes ne sont pas Ă prendre comme des fatalitĂ©s ou des risques, mais comme des certitudes. Des certitudes pour mieux pouvoir les Ă©viter.
Lâutopie a changĂ© de camp : est aujourdâhui utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant. Cette transition psychologique constitue un processus de deuil, avec ses Ă©tapes classiques : le dĂ©ni, la colĂšre, le marchandage, la dĂ©pression et lâacceptation.
Aller de lâavant, retrouver un avenir dĂ©sirable et voir dans lâeffondrement une formidable opportunitĂ© pour la sociĂ©tĂ© passe nĂ©cessairement par ces phases dĂ©sagrĂ©ables de dĂ©sespoir, de peur et de colĂšre.
Que faire en pratique ?
Le rĂ©alisme consiste donc Ă mettre toute lâĂ©nergie qui nous reste dans une transition rapide et radicale, dans la construction de rĂ©siliences locales, quâelles soient territoriales ou humaines :
- Favoriser lâĂ©mergence de nouveaux petits systĂšmes « low-tech » qui ne constituent pas encore un modĂšle ni un systĂšme. Dâun point de vue concret, la phase de transition â par dĂ©finition temporaire â doit donc arriver Ă faire coexister deux systĂšmes, lâun mourant et lâautre naissant, incompatibles sur de nombreux points dans leurs objectifs et leurs stratĂ©gies
- A lâĂ©chelle locale, commencer Ă construire des petits systĂšmes rĂ©silients qui permettront de mieux endurer les chocs Ă©conomiques, sociaux et Ă©cologiques Ă venir.
- A lâĂ©chelle du territoire, le leitmotiv de la transition est de crĂ©er de la « »rĂ©silience locale », câest-Ă -dire augmenter les capacitĂ©s des collectivitĂ©s locales Ă se remettre de perturbations systĂ©miques trĂšs diverses (alimentation, Ă©nergie, ordre social, climat, etc.)
- Au niveau macroĂ©conomique, il sâagit dâinventer une Ă©conomie de «âdescente Ă©nergĂ©tiqueâ» – ou de dĂ©croissance – non plus basĂ©e sur un systĂšme-dette, mais sur dâautres paradigmes bien plus raisonnables, tels que la sobriĂ©tĂ© volontaire, le partage Ă©quitable ou, pourquoi pas, le rationnement.
Analyse construite et percutante. Bravo